ROMANTISME

Il conduisit aussi à la découverte d'un Homère à eux , le barde gaelique fictifOssian , dont les sagas ( presque entièrement inventées ) furent publiées en 17621763 par James Macpherson . Ossian comblait les plus grandes attentes du XVIII° siècle sur les primitifs . Ses héros étaient à la fois courageux et courtois ; ils se conduisaient bien mieux que les personnages querelleurs de l'iliade . En outre , leur religion , fondée directement sur les esprits élémentaires , était plus naturelle . Dans les années 1770 , Ossian était connu dans toute l'Europe . Werther (1774) , le héros de Goethe , le préférait à Homère , de même que les primitifs de l'atelier de David . La maison de Bonaparte à malmaison fut décorée de scènes qui alliaient sa propre légende à celle du barde , comme dans Ossian et ses guerriers recevant les ombres des héros français de Girodet .

Ingres souligna la source d'inspiration qu'était ssian dans son songe d'Ossian , dessin préliminaire pour un plafond du palais que Napoléon devait occuper à Rome .

Les sagas d'Ossian donnèrent un format et une métrique que Blake adapta à ses livres prophétiques . Il n'emprunta aucunehistoire , mais reprit la consonnance primitve des noms .

Le visible doit etre reconnu , au sens néoplatonicien , comme la manifestation d'une entité supérieure . Tous ses livres prophétiques se réfèrent à des situations de l'époque . Jérusalem , le plus extatique , fourmille de référence à Londres , la ville qui était la réalité de Blake . il espérait révéler le royaume de dieu sur terre par la reconnaissance de ce continuum .

La méthode de Blake , dans ses écrits et ses peintures , peut paraitre naive . Il ne s'en aurait pas offusqué , car il trouvait l'homme archaique et l'enfant plus proche du divin . Son approche était archétypale . Il étudiait les mythes anciens pour découvrir le sens originel , d'une manière qui nous est plus familière depuis Jung .

Le point de départ de Blake était l'admiration croissante pour la poésie primitive qui avait conduit à la redecouverte de Homère et Hésiode , poètes ayant préservé les légendes grecques avant qu'elles ne soient altérées par la civilisation . Ce souci de retour à la pureté originelle poussa les occidentaux à revenir à leur histoire ancienne , aux épopées de Dante et aux légendes allemandes des Nibelungen .

En accord avec cette idée , Blake accordait peu d'importance aux miracles du christ . Pour lui , le véritable message du sauveur résidait dans son défi face à l'autorité , dans sa manière d'agir "en fonction d'élans , pas de règles " . Blake remontait directement à l'esprit subversif des débuts du christianisme , avant qu'il ne devienne une religion établie . En cela , il tirait son inspiration de la même source qu'une longue tradition de millénaristes radicaux ; mais pour lui , l'esprit avait été conservé grace à l'art . Il considérait Joseph d'Arimathie , l'"apotre secret" censé avoir mené le christianisme en Angleterre , comme "l'un des artistes gothiques ayant construit les cathédrales à l'époque que nous appelons l'age des tenèbres" .

L'artiste rendait cette vision réelle :
Voir un monde dans un grain de sable
Et le paradis dans une fleur sauvage
Tenir l'infini dans la paume de sa main
Et l'éternité dans une heure .

L'expérience doit se faire par la vue et par le toucher , par le biais des sens , "les principes valves de l'âme . Blake rejetait la séparation intellectuelle du corps et de l'esprit .

Plus généralement , l'aspiration spirituelle , exprimée pour la première fois dans les écrits du théologien suédois Emmanuel Swendenborg , amena le retour des rose-croix et des francs maçons . Beaucoup d'éléments conduisent à rapprocher Blake de ses mouvements . Ses peintures et ses écrits faisaient partie d'un message visionnaire , souvent délivré sous forme de livres prophétiques enluminéz où il élaborait une mythologie personnelle . Il n'offrait cependant pas de formules ou de remèdes évidents pour le salut . Il n'exposait que la révélation de l'inspiration . En affirmant que le christ était un artiste , il reconnaissait que la vision de l'artiste , comme celle du prophète religieux , était synthétique plus qu'analytique .

Plus que tous ses contemporains , il estimait que la créativité n'avait rien de commun avec le rationnel . A la différence de swendenborg , il n'essayait pas de faire coincider le mysticisme et la philosophie des lumières . "Le talent réfléchit , le génie voit" affirmait-il .

"Jesus , ses apotres et ses disciples étaient tous des artistes"
Impossible de ne pas reconnaitre la voix de William Blake (1757-1827) . Ce peintre et poète , le plus impénitent des visionnaires , a toujours été un paradoxe . Aujourd'hui encore , il est pour certains un curieux excentrique et pour d'autres l'esprit le plus pénétrant de son temps . Il est plus difficile de garder une position intermédiaire : on croit à Blake ou l'on n'y croit pas .

Comme l'artiste de Shiller , Blake donne l'illusion d'être en dehors de son temps . Pourtant , ses visions étaient forgées dans le langage de ses contemporains ? Il ne fut pas le seul prophète à surgir dans le sillage de la révolution . Très loin des guerisseurs mystiques et des spiritualistes comme Mesmer et Loutherbourg , il existait des millénaristes comme Joanna Southcott ( 1750-1814) , fanatique religieuse qui se prétendait investie du don de prophétie , affirmait être la femme des révélations , XII , et se croyait enceinte du second messie peu avant de mourir d'hydropisie .

La fierté et l'indépendance de Carstens lui causèrent des difficiultés continuelles , mais lui donnèrent aussi un sens aigu de sa responsabilité d'artiste . "J'appartiens à l'humanité , pas à l'académie de Berlin" répondit-il lorsqu'un ministre prussien lui demanda de revenir à ses devoirs d'enseignant . Il révait d'un "mur de 70 aunes de haut , comme celui du jugement dernier de Michel Ange , sur lequel il pourrait se tuer à la tache et devenir immortel".



Il n'aut jamais son mur , mais ses grands dessins à la craie - qui constituent la plus grande partie de ses oeuvres de maturité à Rome - sont saturés par l'influence de Michel Ange . Il semble souvent trop proche de son maitre . Toutefois , son oeuvre la plus connue , La nuit avec ses enfants , le sommeil et la mort possède un pathos très personnel . Pour lutter contre l'agitation des trois Parques qui tissent et coupent le fil de la vie , le personnage introspectif de la nuit tend son voile au dessus du sommeil et de la mort en un geste simple et émouvant .

Schiller pensait que le lien entre art et politique passait par la réflexion personnelle . La sensibilité éveillée par l'art , la conscience de la beauté et de la noblesse naturelles , l'engagement libre de la faculté de jugement permettaient de développer chez l'homme les qualités nécessaires à l'acquisition de la liberté . Cette indépendance et cette responsabilité morale se développèrent au centre de la pensée romantique . Elle sous entend la défense de la poésie de Shelley et sont partagées par des critiques aussi différents que Ruskin et Baudelaire .

Malgré son indépendance , Schiller dans son concept de beauté élevée , s'inspirait d'une vision de l'antiquité . En cela , il était proche du plus grand artiste monumental nordique de sa génération , l'allemand Asmus Jacob Carstens (1754-1798) . La vie de cet artiste prit la forme d'un pélérinage long et pénible , d'un foyer misérable sur la baltique à sa ville de prédilection , Rome . Il y mourut au bout de 6 ans , à 44 ans .

Selon A.M Vogt , cette découverte résidait dans le fait que Newton avait compris que la terre était à l'origine parfaitement sphérique avant d'être aplatie par la rotation . Boullée le plaçait ainsi aux cotés de Rousseau , comme révélateur de la perfection originelle corrompue par l'expérience .
La raideur des formes et de l'esprit du projet est comparable à d'autres oeuvres importantes des années 1780 . Relier ces créations révolutionnaires à l'agitation politique croissante en Europe serait entant , mais imprudent , car les liens directs sont peu nombreux . Boullée ne s'intéressait pas à la politique et l'autre grand architecte révolutionnaire de l'époque - Claude Nicolas Ledoux ( 1736-1806) - construisit des barrières spartiates où l'on infligeait les impots royaux abhorés .

Dans les années 1790 , lorsque les idéaux furent mis à l'épreuve , l'héroïsme acquit une dimension plus insistante . Des écrivains et des artistes comme Blake , Schiller et Goya - qui avaient soutenu le libéralisme éclairé contre l'opression dans leurs pays respectifs - se trouvèrent renvoyés à eux mêmes . Schiller exprima cette crise publiquement - comme auparavant son engagement social à travers des pièces comme les brigands (1781) . Au début des années 1790 , après la terreur , il reconsidéra ses convictions politiques et le sens de son role , celui de l'artiste , pour ses contemporains . Il croyait fermement que l'art gagnait en importance durant les périodes de crise : si l'homme veut un jour résoudre le problème de la politique , il devra l'aborder par le biais de l'esthétique , car ce n'est qu'à travers la beauté que l'homme trouve sa voie vers la liberté .

La foi du siècle des lumières dans les révélations de la sagesse et dans leur faculté à changer le destin de l'homme favorisa l'adulation des artistes et des penseurs . Le projet d'un cénotaphe à Isaac Newton de l'architecte français Etienne-Louis Boullée ( 1728-1799) en constitue peut être l'expression picturale la plus éloquente . Les dessins révèlent un édifice qui aurait exposé une idée avec une clarté extreme . Boullée ne crut sans doute jamais que son projet serait réalisé un jour , mais il le considérait comme son magnum opus . La salle centrale - avec le sarcophage à sa base - est une sphère parfaite et toutes les formes de soutien - cylindres et courbes - en dérivent . L'intérieur évoque le firmament ( à travers les trous de la surface , la lumière produit l'effet des constellations dans le ciel nocturne ) et , de l'extérieur , l'idée de la sphère se retrouve dans les courbes découpées dans le cylindre inférieur . La perfection et l'universel sont ainsi indissolublement liés ? Boullée honore Newton comme le génie qui , en déterminant la forme de la terre , a rapproché ces concepts de l'entendement ; il veut l'englober dans sa découverte .

Ici , il apparait sous les traits du peintre grec Timanthe , artiste que Pline prenait comme exemple de la puissance évocatrice en peinture . Il tient une de ses oeuvres , une reconstruction des cyclopes endormis de Timanthe tel que l'a décrit Pline , dans laquelle l'échelle est donnée par des satyres mesurant le pouce du géant avec un thyrsos . Cette image du jeune Barry/timanthe évoque l'inachèvement : dans le déroulement de la carrière de Barry quelque chose avait mal tourné . Un artiste qui défend sa vision , à la manière de Blake , Schiller et Barry , doit avori un tempérament héroïque . Chacun d'eux aurait été d'accord pour affirmer avec Beaudelaire que le génie extrème doit posséder , outre une immense passion , une volonté formidable . C'est sans doute cette idée qui poussa Barry à se placer aux pieds d'Hercule dans son autoportrait ; Comme presque tous ceux de sa génération , il exprimait l'idée d'héroïsme par les dimensions .

Si l'héroïsme n'était qu'une question d'échelle , Fussli en serait le maitre , mais le fait que son croquis de lui même subjugué à la vue des vestiges d'un colosse sur le capitole de Rome nous semble aujourd'hui comique révèle les défauts de son art . rares sont ceux qui ont envie de rire devant le Marat de David , car il frappe avec la force d'une révélation . En art , l'héroïsme implique une présentation éloquente d'une pensée ou d'un évenement significatif ; l'éxagération ne peut jamais se substituer à la vision .